Éditions Beya

Stéphane Feye

Cabale et Hermétisme

Conférence donnée par Stéphane Feye à l'Ecole d'Art Contemporain à Luxembourg, le 16 novembre 2007. Explication des termes cabale et hermétisme et leur signification par rapport au mystère de l'homme. 


S’il y a des termes qui ont perdu de leur substance aujourd’hui, ce sont bien ceux qui désignent le sujet dont j’ai l’honneur de vous entretenir ce soir : cabale et hermétisme. Permettez-moi de tenter un petit index des raisons de cette confusion assez répandue, il faut bien le dire.

Il y a tout d’abord, me semble-t-il, une cause générale et simple, j’ai nommé la désincarnation actuelle du langage. Pensons par exemple à la plupart des termes modernes qui ont pour désinence : -isme : communisme, élitisme, capitalisme, voyeurisme, animisme, humanisme. Des centaines de personnes les utilisent, et j’en fais partie, qui ignorent la plupart du temps ce qu’ils signifient, faute d’avoir étudié la question. On dirait même parfois que cette terminaison -isme confère au locuteur tous les droits. Il peut se servir impunément du vocable devenu général, vague et dématérialisé. N’importe quelle affirmation imprécise, fallacieuse voire totalement contradictoire y trouve son compte. Je vous en donne une petite illustration parmi des milliers. Prenons le terme « élitisme », très à la mode aujourd’hui. Nous l’entendons régulièrement, à la radio, dans les journaux, comme indiquant une attitude, un système, voire un vice contraire aux principes démocratiques. Mais faites un peu cette petite expérience amusante : Quelqu’un vitupère-t-il contre l’élitisme devant vous ? Prenez un air étonné et lancez à cette personne : « Ah bon! vous êtes contre le système électoral ? » Votre interlocuteur demeure stupéfait ; suffoqué, il ne peut rien répondre. Il n’avait pas pensé que l’élitisme signifiait avant tout la volonté d’élire.

On peut renouveler ce jeu non seulement avec tous les autres termes en -isme, mais avec combien d’autres !... Pensons à tous ceux qui indiquent une qualité : impiété, vanité, virtualité, humilité. Bref, le langage peut manquer cruellement de précision aujourd’hui.

Les termes d’hermétisme et de cabale en souffrent énormément eux aussi.

À cette première raison générale, on peut en ajouter une seconde : la cabale et l’hermétisme ne font pas l’objet des préoccupations de la majorité de nos contemporains qui ont bien d’autres soucis, notamment ceux de la survie dans un monde agité, cupide et dur. Or, comme disait Lao Tseu dans le Tao te King :

« Seul celui qui n’est pas exclusivement accaparé par la lutte pour l’existence, peut sagement apprécier la vie. »

Le « Time is money » a envahi le monde et peu d’hommes ont encore le temps de se demander « Qui suis-je ? d’où viens-je ? où vais-je ? ». La cabale et l’hermétisme ont donc peu de chance eux aussi de trouver des oreilles libres et attentives ou bien une place dans la société.

La troisième raison, elle, qui me paraît la principale, est plus particulière ; elle réside dans le mystère et les nuages dont sont entourés l’hermétisme et la cabale. Cela provient non seulement des auteurs eux-mêmes qui, manifestement, ne désirent pas instruire le monde, mais aussi de ceux qui les lisent, les reçoivent ou les diffusent. Parmi ces derniers, toutefois, il conviendra de distinguer les honnêtes chercheurs des charlatans ou des abuseurs de la crédulité.

Il y aurait selon certains, une quatrième raison : la matière elle-même de la cabale ou de l’hermétisme serait indicible par essence. Nous tenterons de prouver que non.

Enfin, il y a une cinquième raison, historique celle-là : l’obscurantisme organisé ou inconscient. On s’est acharné (et quand je dis « on », je vise spécialement l’autorité ecclésiastique), à rendre effrayants les termes d’hermétisme et de cabale. On y voit tour à tour Satan, le sab(b)at (1) des sorcières, la messe noire, la magie noire, et le peuple renchérit en voyant dans la cabale une conspiration louche, ou une campagne de dénigrement. Ne dit-on pas communément : « Il a été victime d’une cabale », etc. ?

Quant à l’hermétisme, on pense à ce qui est fermé hermétiquement, d’où inaccessible, secret, occulte et forcément dangereux ou mal intentionné. Et inconsciemment, la foule transmet cette sorte de panique incontrôlée…

Nous allons donc tenter ce soir de démêler cet écheveau, d’éviter les fausses pistes, de clarifier les notions, et pourquoi pas, de mettre certains en appétit devant un sujet passionnant. 

1.  Au sujet de l’orthographe de ce mot, cfr Emmanuel d’Hooghvorst, Le Fil de Pénélope, tome I, pp. 206-207.

S. Michelspacher, Cabala.