Éditions Beya

  • Éditions Beya
  • volume n°29
  • 16 x 23
  • 122 pages
  • ISBN : 978-2-930729-14-5
  • couverture cartonnée cousue
  • illustrations en noir et blanc : 4 ; couleur : 1
  • parution : juin 2020

Paracelse

LES FOUS

Introduction, traduction de l'allemand et notes de Stéphane Feye

ebook9,99 €
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L'homme possède indubitablement une partie animale qui s'oppose en lui à l'image divine qu'il a perdue. Les hommes-animaux, y compris les fous, se classent donc par catégories zoologiques douées d'intelligence animale, celle que l'on vante tant aujourd'hui.

La premier traité, Les Lunatiques, montre que cette caractéristique animale intelligente est d'origine zodiacale. Si elle attire du ciel un surcroît d'influx sympathique, elle se corrompt au point de devenir enragée.

Le deuxième traité, La Génération des idiots, explique que l'idiotie est due, cette fois, non à un excès, mais à un défaut de fabrication de l'intelligence animale. Mais dans certains cas, cette faiblesse peut favoriser la prophétie.

Cet émouvant éloge de la folie, différent de celui rédigé à la même époque par Érasme, conclut nos deux textes qui, sans nul doute, passionneront le lecteur.


Introduction ...................................................... 7
Les Fous .......................................................... 8
La Grande Philosophie ............................................ 12
Notre traduction ................................................. 13
Remerciements .................................................... 20

Les Lunatiques ................................................... 21
Prologue ......................................................... 23

Traité I ......................................................... 27
Chapitre I ....................................................... 27
Le genre et l’ espèce de l’ animal humain ........................ 28
Le ciel animal ................................................... 30

Traité II ........................................................ 35
Des allégories du Christ dans Matthieu III
Race de vipères .................................................. 35
Matthieu VII, 6 – Vous ne devez pas donner ce qui est saint
aux chiens ni les perles aux porcs ............................... 36
Matthieu VIII, 15 – Dans des vêtements de brebis, mais
à l’ intérieur, ce sont des loups ravisseurs ..................... 38
Matthieu X, 16 – Je vous envoie comme des brebis au
milieu des loups, etc. ........................................... 39
Luc XIII, 32 – Dites à ce renard, etc. ........................... 40
Les noms donnés aux animaux ...................................... 41

Traité III ....................................................... 43
Chapitre I ....................................................... 43
Le monde circulaire conscient .................................... 44
Lunatiques et possédés ........................................... 46
Exemple du fanatisme religieux ................................... 47
Le Christ a indiqué les signes ................................... 49
Le test .......................................................... 50
Qui commande dans le couple ? .................................... 54
La roue de fortune ............................................... 56

Traité IV ........................................................ 59
De la cure ....................................................... 59
Prévention ....................................................... 59
Ne pas confondre lumière du Christ et ténèbres
du monde ......................................................... 65
La Génération des idiots ......................................... 67
Traité I ......................................................... 69
Prologue ......................................................... 69
Livre I .......................................................... 73
Le Paradis ....................................................... 73
La Chute ......................................................... 74
L’ image de Dieu ................................................. 76
La fabrique des fous ............................................. 78
L’ horoscope des fous ............................................ 80
Les malformations corporelles .................................... 82
L’ instrument .................................................... 83
Les pitreries : deux sortes de fous .............................. 85
Une leçon pour nous .............................................. 89
La mort du fou ................................................... 93
Le jugement ...................................................... 94

APPENDICE
Les Lunatiques selon Gerard Dorn ................................. 97
Première section ................................................ 101
Deuxième section ................................................ 105
Troisième section ............................................... 111
Quatrième section ............................................... 117

 

La Nouvelle Bibliothèque d'Assurbanipal

17 juillet 2022.

La noblesse de l’humain plus haute que les étoiles, selon Paracelse

 

Dans un article paru en 1933, dans la célèbre Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses (n° 1, Janvier-février, pp. 46-75), l’éminent philosophe et historien des sciences français d'origine russe Alexandre Koyré publiait une riche contribution sur le médecin suisse Paracelse (1493-1541). Il commençait son étude par ces lignes :  « Il y eut à son époque - époque si curieuse, si vivante et si passionnée -, peu de gens dont l’œuvre eut un retentissement plus grand, une influence plus considérable, qui eût provoqué des luttes plus ardentes que l’œuvre et la personne de Théophraste Paracelse, ou, comme parfois il se nommait lui-même, Aureolus Theophrastus Bombastus Paracelsus, docteur en médecine, docteur en théologie, docteur utriusque iuris ; peu de gens qui aient connu une admiration aussi grande, une hostilité aussi implacable, que ce personnage déconcertant ; peu de gens aussi, sur l’œuvre et la pensée desquels nous soyons moins renseignés que sur la sienne. »

La publication ces dernières années en langue française, par les éditions belges Beya, dans de très beaux volumes, à la présentation soignée et rigoureuse, des œuvres du médecin suisse Paracelse constitue une heureuse occasion d’exploration de la culture générale (les « Humanités »), en même temps qu’elle est une occasion d’éveil spirituel. Ce médecin avait donné à son art et à sa science quatre fondements : la philosophie, l'astronomie, l'alchimie et la vertu. A des degrés divers, ses livres portent les empreintes de ces quatre voies, le plus souvent combinées. C’est le cas pour La Grande Philosophie (Philosophia Magna), publiée en 1567, quelques années seulement après sa disparition. Le texte original est en allemand, mais, dès 1569, le disciple belge de Paracelse, Gérard Dorn (1530-1584), en fournit une version latine.

L’érudit Stéphane Feye nous propose ici une traduction de l'allemand (avec une introduction et quelques notes) de deux livres de La Grande Philosophie, rassemblés sous le titre Les Fous.

Dans le premier livre, Les Lunatiques (De Lunaticis) Paracelse nous propose une stimulante introduction à la psyché humaine. Nous sommes donc sur le terrain de la psychologie, mais nous pourrions aussi parler d’anthropologie, tant le médecin explore le phénomène humain dans ses diverses dimensions. De plus, d’autres disciplines sont mobilisées, comme la théologie et le savoir issu des « sciences traditionnelles », comme la science du zodiaque. Sa méthode est donc clairement transdisciplinaire, car elle prend appui sur les ressources de la rationalité, mais aussi sur celle d’une intelligence intuitive. En réalité, Paracelse est rarement dans la démonstration. Son défi est celui de la monstration : rendre visible le sens. Et, dans cet effort, il témoigne d’une audace folle. Qu’on en juge.

D’abord, le médecin place l’humain dans une double filiation, une double origine. Il appartient clairement au règne humain. Mais cette appartenance ne relève pas seulement de l’ordre physico-biologique. Il y a dans sa psyché un « esprit animal » ou « esprit bestial ». Clairement, un humain qui n’existerait que sous ce mode d’être serait en état de souffrance. Paracelse parle ainsi de cette « maladie lunatique » qui se traduirait par des comportements et des attitudes troubles, avec des « manies » et des « folies ». Les personnes qui se trouvent dans cette situation ont un « esprit furieux ». Soucieux d’éviter les généralisations abusives à propos de cette classe de malades, il propose une typologie qui distingue le « fou » du « furieux ». Paracelse écrit ainsi : « Les fous (narren) ont l'esprit bestial inné en eux. Les furieux (tauben), eux, ne l'ont pas de manière aussi congénitale. Le point où ils diffèrent, c'est que les fous (narren) se conduisent en bête à l'animalité raisonnable, tandis que les furieux (tauben) fonctionnent en esprits animaux insensés. » (p. 24)

Ce passage et les développements qui suivent sont très importants, car Paracelse refuse que le partage entre l’humain et l’animal se fasse selon un critère de rationalité. En effet, il existe, explique le médecin, une « rationalité d’animal ». On peut dire que cette rationalité correspond, en s’appuyant sur les exemples proposés, à une capacité d’adaptation à l’environnement et même à une sorte de talent. Il cite ainsi l’astuce propre au renard, au cerf.

Lorsque l’animal est mu par sa rationalité animale, qui est une intelligence instinctive, cela correspond à l’ordre des choses. Mais lorsque cette rationalité domine la psyché humaine, celle-ci devient malade. La cause de cette maladie tient au fait que l’« esprit animal », la rationalité bestiale, ne permettent pas à l’humain d’honorer sa véritable condition, sa nature authentique. L’animal, comme créature (et l’animal dans la psyché et le corps de l’humain) est soumis au déterminisme. L’animal, en quelque sorte, est prisonnier de ses instincts, de ses pulsions, de son mode d’être. Paracelse considère que ce déterminisme est d’une nature zodiacale : c’est le « ciel animal » qui détermine le comportement de l’animal. Mais cette puissance astrale agit aussi sur la part animale de l’humain. C’est pour cela que notre médecin estime que l’influence du zodiaque sur l’humain n’atteint, non l’humain en propre, mais ce qui en lui relève de l’animal. Il écrit : « […] si je dis que tel homme est sujet à Mercure, etc., d’après ce qu’on trouve dans son horoscope, et que dès lors ceci ou cela en résulte, à l'instant on fait la distinction que ce n'est pas l'homme qu'on doit comprendre ici, mais bien l'animal qu'il est. Celui qui parle ainsi de l'homme parle d'une bête et non d'un homme. Et cet art-là, dans la mesure où il dépend de la nature, parle pour l'animal et non pour l'homme. » (p. 30)

Cette corrélation entre le Ciel animal, le règne animal et la part animale de l’humain est l’une des clés qui permet de comprendre la conception paracelsienne. Écoutons-le encore : « […] il est bien vrai que les étoiles célestes ayant une nature et un caractère animal, il en résulte que c'est avec l'animal qu'elles ont un rapport et une affinité. Ainsi, dans la mesure où l'homme est un animal, il est lui aussi en affinité avec ce qui est commun avec l'animal, du fait qu'il est double : animal et humain. » (p. 30)

Si cette corrélation entre le zodiaque et l’animal repose sur un principe de déterminisme, que serait le principe propre à la véritable identité humaine ? Paracelse répond clairement : la liberté. « Car l'homme est bien au-dessus de tout cela, plus noble que toutes ces étoiles. S’il est plus noble, comment peut-il alors être soumis aux choses inférieures ? Ainsi le ciel n'a de communauté avec l'homme que dans la mesure où il concerne le bestial, l'animal, qu'il était interdit à l'homme d'être, et dont il ne peut faire usage. » (p. 30) Dans cette structure hiérarchique de la réalité, le Ciel zodiacal et l’animalité sont en positions inférieures, et l’humanité propre à l’humain est dans une position de supériorité. Cela tient au fait, selon Paracelse, que l’humain situe son être dans une mouvance divine : « Afin de comprendre correctement l'homme, sachez ici que c’est d’Adam et non de l'animal qu'il tient son authentique esprit de raison, sagesse, prudence, etc. Ce que cet esprit dit, enseigne, fait, est de Dieu, cet esprit étant l'image de Dieu. » (p. 33). Avant ce passage notre médecin soulignait que l'animal en nous devait « se tenir tranquille » (p. 33)

Une fois posées ces considérations, Paracelse nous introduit à ce qu’est une vie authentiquement humaine, c’est-à-dire non animale et orientée spirituellement et non zodiacalement. Dans le contexte culturel et religieux qui est le sien, c’est bien évidemment le christianisme, l’Evangile et la figure du Christ qui donnent à l’humain la vraie liberté. Il propose des tests, une cure, une prévention, une lecture des textes sacrés afin que, au final, la conscience humaine, libérée de la pesanteur animale, sache distinguer entre la lumière du Christ et les ténèbres du monde.

Le deuxième livre s’intitule La Génération des idiots(De Generatione Stultorum). Son sujet est à la fois proche et en même temps assez différent du livre précédent. Il aborde encore une fois la présence de l’esprit animal dans l’humain, mais non pas dans sa domination (qui favorise la maladie lunatique), mais dans sa faiblesse. Certes, Paracelse défend l’idée que dans le couple formé par l’esprit animal et l’esprit humain, c’est le second qui doit détenir les rênes de la conscience et de l’existence. Mais chez un certain nombre de personnes, cette faiblesse de l'intelligence animale peut favoriser la prophétie, comme le dit Stéphane Feye. Il explique la substance de ce livre étonnant : « Si nous nous moquons de ces idiots, c'est simplement que nous leur reprochons de ne pas être munis de la même conscience animale que nous. Or, il arrive que le Dieu intérieur, c'est-à-dire l'image divine offusquée d'habitude par l'animalité raisonnable, se serve plus facilement d'un idiot pour pouvoir s'exprimer et parler. De là, nous devons prêter attention à certains oracles non travaillés ni élaborés, jaillissant spontanément de ces fous. Les princes, eux, veilleront à ce qu'on respecte ces gens sans les ennuyer, et qu'on note leurs oracles éventuels. Les idiots sont une leçon pour nous : mortifions donc notre animalité raisonnable pour laisser parler Dieu. De plus, Dieu ne fait un prophète qu’en le rendant simplet auparavant. » (pp. 10-11)

Le livre Les Fous (qui se termine par la traduction du latin au français d’un résumé des Lunatiques, rédigé par Gérard Dorn) est une belle illustration de ce que fut la première Renaissance humaniste, une renaissance dans laquelle l’humain n’est pas réduit à un rouage de la machine (comme dans l’anthropologie cartésienne et moderne), mais est pensé comme une émanation de la divinité.

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